samedi 14 mars 2015

"Le nègre de Surinam", Candide, Voltaire

En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n’ayant plus que la moitié de son habit, c’est-à-dire d’un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite.
– « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu là, mon ami, dans l’état horrible où je te vois ?
– J’attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre.
– Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi ?
- Oui, monsieur, dit le nègre, c’est l’usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l’année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait :  » Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l’honneur d’être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère.  » Hélas ! je ne sais pas si j’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m’ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus horrible.
- Ô Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination; c’en est fait, il faudra qu’à la fin je renonce à ton optimisme.
– Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo.
Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal ».
    Et il versait des larmes en regardant son nègre; et en pleurant, il entra dans Surinam.

Eléments pour l'introduction :
informations sur l'auteur : Voltaire, écrivain français, 1694-1778, philosophe des lumières.
informations sur l'époque : siècle des lumières, le XVIIIe siècle, durant lesquels des écrivains comme Voltaire ou Montesquieu se disent philosophe et critiquent la société française de l'époque.
informations sur le texte: extrait du conte philosophique Candide publié en 1759. Le texte parle de la découverte d'un esclave près de Surinam, par l'auteur.

Axe possible 1 : les différents discours et leur utilité :
- le discours de l'esclave, un constat sans sentiments sur sa situation pourtant désespérée. Cela a pour effet de montrer une situation crédible, réaliste et donc plus touchante pour le lecteur. 
*utilisation du présent de vérité générale. ==} il fait un constat de sa situation.
*l'esclave n'utilise pas de subordonnées de cause ou de conséquence, de ponctuation et de verbes de sentiments.
===} Il ne se plaint pas et ne montre pas ses sentiments. Il ne fait que décrire sa situation.

- Le discours de Candide est naïf et interrogatif, il apprend et se forge sa propre opinion à travers ce texte.
* ponctuation forte, le héros s'étonne du traitement infligé à l'esclave.
* question orale à un philosophe. ===} Voltaire dénonce l'idéologie d'un autre philosophe. Le héros se forge sa propre idéologie du monde, celle de Voltaire, le texte est un texte d'apprentissage.

Axe possible 2 :L'ironie au service de la dénonciation :
-Les jeux de mots servent à faire rire le lecteur tout en dénonçant divers aspect de la société.
* la dénonciation de l'esclavagisme à travers un jeu de mot à l'encontre de l'esclavagiste. Vanderdendur = vendeur à la dent dure.
* la religion moquée et mises au même niveau que celle des parents de l'esclave, en Afrique, à travers un jeu de mot. Toutes les religions sont dénoncées.

- Les décalages dans le textes qui font rire et qui dénoncent :
* le décalage entre le confort nécessaire en Europe et le prix que cela coûte aux esclaves.
*le décalage entre la punition pour une blessure ou une fugue par les esclavagistes. La punition est la même : un membre en moins.
* le décalage entre la vision de l'Europe des européens ( celle de la famille de l'esclave) et la réalité d'être esclave.
*le décalage entre la théorie religieuse des hommes tous frères et la réalité de l'esclavage.
* décalage entre l'optimisme selon un philosophe, Pangloss et la réel définition de l'optimisme.

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